La valeur cumulée des marques françaises les plus valorisées du Kantar BrandZ Top 50 France 2023 est en très forte croissance : +31% par rapport à la dernière édition menée en 2021, c’est le fait principal de cette nouvelle édition.
A titre de comparaison, cette progression est de 5% pour le classement des marques allemandes.
Cette croissance est avant tout soutenue par les marques du secteur du luxe (+47% pour les marques de mode, + 42% pour celles d’alcool). Cette évolution montre la polarisation de la société, la valeur refuge des marques de luxe dans un contexte d’anxiété et d’inflation mais aussi la capacité unique des marques de luxe à susciter et renouveler le désir.
Mais cela ne doit pas occulter la croissance très dynamique des marques d’autres secteurs comme la beauté (21%), la banque /assurance (+24%), l’énergie (+16%) et l’arrivée en force de nouveaux entrants issus de secteurs de la distribution, du jeu, de la mobilité ou des médias.
On doit évidemment se réjouir de ces performances remarquables. Mais comment s’assurer que cette croissance sera durable au sens économique mais aussi d’un point de vue environnemental et sociétal ?
Sur la composante économique, les marques, y compris celle du secteur de luxe, qui ont élargi leurs cibles au-delà des populations affluentes, sont confrontées à la problématique de l’inflation. Quelles solutions proposer à des consommateurs au pouvoir d’achat restreint ? La question du rapport entre le prix et l’attractivité de la marque devient centrale, chacun de ces leviers devant faire l’objet d’une réflexion approfondie.
Sur la composante environnementale et sociale, nos études montrent très clairement que les consommateurs souhaitent en grande majorité s’orienter vers des styles de vie plus sobres, moins centrées sur la consommation et renforcer leurs achats de produits et service respectueux de la planète. La première responsabilité des marques est de les accompagner à transformer ces intentions en comportements, alors même que la pression sur les prix les en fait douter. Quelles solutions leur proposent-elles pour ne pas briser cet élan nécessaire ?
Nécessaire, car la question centrale que nous devons nous poser est la suivante. La planète peut-elle supporter des tels niveaux de croissance, qui reposent essentiellement sur des produits et services classiques, basés pour l’essentiel sur une logique de de production linaire (vs. circulaire) ? La réponse est négative : nous consommons les ressources 1,7 fois plus vite que ce que la Terre est capable de régénérer. Sur les 9 limites des ressources planétaires identifiées par les scientifiques, 6 ont déjà dépassé leur seuil d’alerte (Rapport 2022 de la Convention des Entreprises pour le Climat). La croissance telle que nous la définissons ne peut donc plus perdurer : vendre plus pour gagner plus est une injonction intenable dans un contexte de limites planétaires dépassées et de fin d’abondance. En imputant sur l’EBITDA des entreprises du CAC 40 la facture du CO² émis par leurs activités, 50 % des valeurs de l’indice deviennent déficitaires (Etude Axylia).
Alors pour autant, il ne s’agit pas de parler de décroissance, de privation ou de régression, mais de redéfinir ce qu’est la croissance et la finalité d’une entreprise.
Le monde de l’entreprise est évidemment en marche dans ce mouvement. Des solutions existent, fondées sur le développent de l’économie du partage, de la location ou de l’occasion. Notons à ce titre que deux marques fondées sur l’économie circulaire font désormais partie du Top 50 (LeBonCoin qui l’a rejoint en 2021 et Back Market qui y accède cette année).
Des labels internationaux (B Corp) ou de nouveaux cadres juridiques permettent de réinventer les contours de l’activité d’une entreprise. Ainsi le label « l’entreprise à mission » lancé en France 2019 désigne en France les formes d'entreprises qui se donnent statutairement une finalité d'ordre social ou environnemental en plus du but lucratif. Il y en a désormais plus de 600 dont plusieurs marques patrimoniales (dont trois marques du Top 50 France, Activa et Evian du groupe Danone et le Crédit Mutuel) au-delà de marques « Impact Native » à forte croissance comme le Slip Français ou Greenweez.
Au-delà des cadres légaux, La France fait émerger depuis quelques temps le concept d’entreprise régénérative (par opposition à une entreprise fondée sur une économie extractive). Il devient de plus en plus discuté et attractif, y compris dans les sphères économiques les plus influentes et au sein des comités de direction des marques françaises les plus fortes. Ainsi AXA, n°13 du classement avec une croissance de 21% en fait un axe structurant de sa stratégie.
L’idée de base d’une entreprise régénérative est de redonner davantage à la nature qu’elle ne lui prend. Il ne s’agit donc plus d’atteindre la neutralité mais de contribuer positivement. L’entreprise est ici considérée une entité vivante comme les autres, qui doit accepter sa profonde dépendance. Elle n’est rien sans les ressources de la planète, les collaborateurs, les fournisseurs, les institutions, les infrastructures. Si l’entreprise prospère, alors chaque entité de l’écosystème prospère et réciproquement. Trois principes éthiques d’une entreprise régénérative : se fixer des limites de développement et redéfinir des règles de partage du surplus, prendre soin des humains sur un plan physique et mental et les associer aux décisions ; et prendre soin de la planète par la mise en œuvre d’une économie circulaire et locale et l’utilisation d’énergies renouvelables. Les objectifs d’impact sont définis, contrôlés par une instance indépendante et communiqués. Les profits sont la résultante d’une ambition plus large d’avoir un impact positif sur son écosystème, avec pour finalité de bâtir un futur durable.
Le marketing peut être le chef d’orchestre de cette transformation des entreprises en refondant les offres et en faisant la pédagogie de ce modèle responsable pour le rendre désirable. La marque peut être repensée autour d’un nouveau système de valeur, d’un nouveau contrat relationnel faisant émerger des récits qui rendent la sobriété heureuse. La croissance des marques reste donc un objectif essentiel, mais il s’enrichit désormais de nouvelles ambitions, au-delà des performances financières.
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