Fin janvier 2022, la marque Camaïeu subissait une violente polémique après avoir tenté de promouvoir le numéro d’appel contre les violences faites aux femmes, en mettant en scène sur son site des modèles présentant des ecchymoses faites au maquillage. Pourtant l’engagement de l’entreprise pour cette cause était réel et sincère mais la façon de faire a été jugée pour le moins maladroite.
Depuis, cette polémique s’est éteinte et, plus grave, l’enseigne a disparu de nos rues, victime de la crise du secteur. Cette année encore, sans doute à l’occasion de la nouvelle Journée Internationale des Droits des Femmes, d’autres marques viendront encore prendre parti pour une cause féministe, prenant elles aussi le risque d’un retour de bâton.
Faut-il dès lors éviter de s’engager pour une cause sociétale en tant que marque ? Non, bien sûr.
Au contraire, la marque n’existe pas en dehors de la société et ne peut ignorer les enjeux du monde actuel. Et certains consommateurs attendent des marques qu’elles s’engagent sur les sujets qui les concernent.
Chez Kantar Insights, nous avons constaté que les principales causes d’échec sont :
- Un manque patent de crédibilité de la marque sur le sujet choisi (possiblement le cas de Camaïeu – personne ne connaissait alors les engagements de la marque pour cette cause et ce n’est pas forcément sur ce terrain qu’une marque de mode est attendue*)
- Un engagement trop superficiel de la marque, pas à la hauteur de l’enjeu – c’est visiblement ce que l’on a reproché à Camaïeu ici, la maladresse de sa démarche face à la réalité des violences faites aux femmes
- Le pire des péchés : des actes de la marque qui contredisent l’engagement pris – au moins ce n’est pas ce qui a été reproché à Camaïeu
- Dernier cas, celui qui nous intéressera ici : quand l’engagement de la marque s’exprime d’une manière trop éloignée de ce qu’en attendent les consommateurs
En effet, l’engagement sociétal d’une marque ne peut pas fonctionner indépendamment de son positionnement. Le lien entre la manière de défendre une cause et l’idée qu’on se fait de la marque est essentiel à la bonne réception de cet engagement sociétal.
Pour cela, les marques qui promeuvent avec succès leur engagement sociétal ont d’abord construit une promesse émotionnelle au sein de la catégorie où elles opèrent.
Par exemple la promesse émotionnelle de Nike, incarnée dans le "Just do it", s’appuie sur l’idée que chacun peut être un athlète, qu’il suffit de se lancer pour trouver les ressources en soi… et de disposer des bons équipements.
En conséquence, l’engagement sociétal de Nike derrière Serena Williams dans une campagne de soutien aux athlètes féminines contre les stéréotypes de genre est juste dans sa tonalité : un style dynamique et percutant qui correspond à ce que l’on attend de cette marque.
Cela ne protège pas nécessairement de toutes les polémiques, mais au moins cela assure la cohérence du positionnement de la marque dans la durée.
Autre exemple : au travers de son fameux "Parce que vous le valez bien", L’Oréal promeut et promet à ses clientes un style et une beauté incomparables.
Là encore l’engagement sociétal de la marque contre le harcèlement de rue est émotionnellement bien aligné avec cette promesse.
Ces deux exemples illustrent deux des territoires émotionnels archétypaux usuels chez Kantar Insights, définis par notre cadre NeedScope :
Avec le programme EVA (Equal Vehicles for All), Volvo partage avec toute l’industrie automobile les données de 40 ans de recherche pour des voitures plus sûres, y compris pour les femmes (habituellement mal évaluées dans les crash-tests car les mannequins ont une morphologie masculine), comme ils l’avaient fait en ouvrant leur brevet de ceinture de sécurité afin que tous et toutes en bénéficient. Et la marque le fait d’une manière experte et précise, qui correspond à sa promesse émotionnelle en tant que constructeur.
La marque de protection hygiénique StayFree s’engage concrètement en formant des femmes prostituées en Inde, durant les jours où leurs règles les empêchent de travailler, afin de leur permettre d’acquérir les compétences pour un métier qui leur permettra de sortir de leur condition de travailleuses du sexe. Et la marque le fait avec une bienveillance et une attention qui sont alignées avec son positionnement.
De même, les cosmétiques Wardah en Indonésie mènent un programme qui cherche à fédérer les gens et les associations pour l’éducation des femmes, là encore en accord avec leur positionnement de marque inclusif et ouvert.
Enfin le déodorant Secret, soutien de longue date de la cause des femmes, qui exige l’égalité de salaires ("We’d rather get paid") le fait d’une façon dynamique et enjouée, alignée avec le ton habituel de la marque dans ses communications.
Pour reprendre l’exemple antérieur de Camaïeu, sa démarche n’était probablement pas clairement ancrée, et se situait plutôt dans des territoires antagonistes, rendant plus compliquée l’assimilation de la part des consommateurs.
Alors que retenir ? Kantar Insights vous propose trois pistes de réflexion.
Si votre marque veut s’engager dans une cause féministe (ou n’importe quelle autre cause d’ailleurs), très bien. Mais assurez-vous :
- Que votre marque dispose d’abord d’une promesse émotionnelle claire
- Que l’engagement sociétal de votre marque est aligné avec cette promesse
- Et surtout, que les actes accompagnent le discours ; soyez sincère dans votre engagement et tangible dans vos réalisations
Et vous, votre marque est-elle bien alignée ? Et cela se traduit-il dans toutes ses activations ? Dans ses communications, bien sûr, mais aussi dans ses packagings, dans ses innovations, dans l’expérience client, dans les médias sociaux… si vous vous posez la question, nous pouvons vous aider à y voir plus clair. Et vous accompagner comme nous le faisons déjà avec de nombreuses marques.
* les premiers enjeux dans l’univers de la mode sont la surconsommation (« fast-fashion ») et le travail des enfants, selon l’étude Kantar Sustainability Sector Index 2022