Entre chaos et désire : le luxe valeur refuge?
Dans un monde chaotique, marqué par une crise environnementale, géopolitique, et par les séquelles de la pandémie, le luxe a plus que jamais une capacité à susciter le désir et devient même une valeur refuge, fortement associée à une forme d’hédonisme, mais aussi à un investissement durable.
Peu d’observateurs s’y attendaient, mais les grandes maisons parviennent à renforcer encore leur valeur cette année comme le montre notre étude BrandZ.
Pourquoi ? Cette citation de Cyrille Vigneron, CEO de Cartier résume bien le contexte actuel: “When the sky is dark, stars shine even more”. Il est vrai que certaines valeurs sont des repères aujourd’hui, comme la dimension esthétique (influence des mondes de l’art et de la culture qui nous amènent ailleurs et nous font rêver), l’hédonisme (besoin de se faire plaisir et se réconforter), et le durable (choix d’investir dans des biens qui ont un sens, qui prennent de la valeur et se transmettent).
Des tensions fortes, mais une adéquation aux valeurs de l’époque
Et pourtant le pilotage stratégique de ces marques n’est pas évident, car elles connaissent de vraies révolutions culturelles : l’accélération de la révolution digitale, l’intégration du développement durable, la diversification des clientèles. Et même si le paradoxe est un trait caractéristique du luxe, elles sont tiraillées entre des cultures différentes : par exemple entre culte du secret & transparence, traçabilité, entre exclusivité & disponibilité en ligne, entre élitisme & inclusion, entre héritage & nouvelles clientèles.
Tout n’est pas vertueux dans cette industrie critiquée pour ses défilés lointains, ses influenceurs qui incarnent une certaine superficialité, dénoncés par le cinéma comme la Palme d’Or 2022 de Ruben Östlund « Triangle of Desire »… Mais on voit les choses évoluer : des ateliers locaux, des recrutements et des créations d’emplois, un travail sur l’impact carbone de nombreuses maisons engagées et de plus en plus d’adéquation avec les valeurs de notre époque.
Une montée en puissance du vrai luxe, plutôt que du premium
Les grandes maisons et les segments haut de gamme dans le luxe continuent de croître fortement, portés par les clientèles Affluents VIP et par leur capacité à faire rêver l’humanité des acheteurs au sens large. Notre étude Kantar x Altiant (menée en décembre 2022 en Chine, US et Europe sur les 5% des hommes et femmes les plus aisés) montre bien que les Affluents interviewés prévoient d’accroître leurs dépenses dans la plupart des catégories luxe : en moyenne, 32 % d’entre eux déclarent vouloir augmenter en 2023 leurs dépenses de luxe sur les 9 catégories étudiées et 65% sur au moins une catégorie. Un phénomène de valorisation du luxe plutôt que des marques premium, alors que dans la précédente décennie, le succès des marques accessibles semblait menacer le luxe.
Il est également important de ne pas se déconnecter d’un public plus large. Les grandes marques du luxe peuvent investir le champ de la beauté permettant de proposer des produits accessibles sans dégrader leur image, comme le montre le succès des rouges Hermès. Elles peuvent aussi reprendre leur filière de vente en seconde main, comme le fait Rolex qui a lancé son programme "Rolex Certified pre-owned" auprès de son réseau de détaillants officiels.
Les enjeux clés de l’expérience phygitale & de la crédibilité éthique
Les évolutions actuelles du luxe sont également marquées par des enjeux fonctionnels qui vont façonner le paysage des années à venir : la maitrise des parcours phygitaux à l’heure du Web 3.0 et l’optimisation des démarches de développement durable.
On le voit à travers les études Shopper, CX et Data qui se développent considérablement, le premier défi des marques de luxe est concrètement lié à l’expérience proposée : qu’il s’agisse de l’expérience sur une site de marque, sur une plateforme multimarque, un réseau social, que ce soit une navigation classique ou plus immersive avec un métaverse. L’optimisation purement fonctionnelle des parcours est essentielle, avec plus de praticité et de fluidité. Les exemples des approches phygitales menées en Chine sont souvent inspirantes car très pragmatiques avec des espaces ludiques et artistiques qui font le pont entre réel et virtuel comme le MIXc Shanghai x UCCA Edge. C’est aussi une question de pilotage optimisé via la maîtrise et la coordination des data qui permet d’aller plus loin.
Le second défi est lié à la mise en place de process et de produits qui s’inscrivent dans une limitation de l’impact, voire dans une démarche de régénération de l’environnement. La difficulté est liée à un réel foisonnement d’indicateurs complexes pour mesurer les évolutions. Depuis ses débuts, notre tracker BrandZ intègre des items spécifiques DD que nous optimisons régulièrement et notre étude récurrente Kantar Sustainability Sector Index menée dans 32 pays, auprès de 33 000 consommateurs s’attache à comprendre quels sont les sujets prioritaires en matière de RSE pour les consommateurs et sur lesquels les marques doivent agir selon leur secteur. Cette recherche d’amélioration continue nous incite à échanger avec les marques, en quête d’un indicateur composite de développement durable qui pourrait être utilisé dans nos modèles économétriques.
Mieux comprendre des clientèles du luxe diversifiées
Dans ce contexte de mutation, les marques doivent mieux cerner des clientèles qui ont beaucoup évolué. Notre recherche menée en décembre sur la cartographie des désirs de Luxe montre bien que les motivations transcendent les frontières et les catégories : au-delà de leur origine géographique, de leur genre et de leur âge, les personnes interrogées sont regroupées en 6 territoires de désirs transversaux, en fonction de ce qui les définit et de ce qui est important pour elles.
La compréhension des motivations profondes des clientèles du luxe est une voie de recherche importante car elle dépasse souvent les stéréotypes attachés à cet univers. L’étude Kantar x Altiant démontre par exemple que chacun a des attentes différentes vis-à-vis des marques, au-delà du fait de chercher à exprimer son style et sa personnalité qui est une attente transversale.
Les personnes interrogées peuvent être en recherche de :
- Découverte : « j’aime apprendre, découvrir et expérimenter de nouvelles choses » (29%)
- Attention : « j’ai de l’influence et j’aime être vue et remarquée » (18%)
- Statut : « je suis fière de ma réussite dans la vie et je ne vois pas pourquoi je m’en cacherais » (15%)
- Exclusivité : « je préfère la discrétion, la rareté des initiés et fuis l’ostentatoire » (14%)
- Héritage : « je favorise le savoir-faire, la transmission et je rejette la nouveauté pour la nouveauté » (12%)
- Authenticité : « je suis quelqu’un d’engagé, je favorise le retour à l’essentiel et mes choix sont le reflet de mes valeurs » (12%)
Chacun de ces territoires des désirs implique des défis différents pour les marques. En fonction de leurs positionnements et de leurs ambitions, elles peuvent jouer sur une ou plusieurs de ces motivations profondes, mais il est de plus en plus important de bien les comprendre et les mesurer.
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