Corinne Mostaert est "Innovation, Customer Experience and Sustainability Lead" chez Kantar Insights. Elle est passionnée depuis plus de 20 ans par la compréhension des humains sous toutes leurs facettes - citoyens, (dé)consommateurs, shoppers. Et se nourrit de ses observations pour aider les marques à prendre des décisions informées. En résumé, Corinne est convaincue de deux choses essentielles et indissociables: d’abord, nous ne pouvons pas laisser les générations futures sans espoir. Ensuite, c’est aussi le rôle des marques d’assurer une transformation durable.
Même si nous sommes majoritairement volontaires pour adopter des modes de vie différents, le contexte inflationniste ralentit la transformation. Parce que les services et produits durables sont effectivement plus chers. Néanmoins, certains nouveaux comportements peuvent permettre de concilier durabilité et contrainte budgétaire.
Une question centrale se pose donc d’entrée de jeu: comment adopter ces fameux nouveaux comportements, même s’ils représentent davantage de budget pour chacun ? Cette interrogation trouve
nombre de réponses dans l’étude "Sustainability Sector Index" de Kantar Insights. Il s’agit de la seconde mesure de cette enquête unique au monde de par son ampleur. Puisque le "Sustainability Sector Index" a été mené dans 32 pays, auprès de plus 30.000 consommateurs pour comprendre leurs attitudes, comportements, tensions et attentes vis à vis des entreprises, et ce dans pas
moins de 38 secteurs d’activité différents !
Une grande homogénéité se dégage de cette étude quant aux aspirations des citoyens: presque tout le monde (97 %) souhaite bouger, adopter des modes de vies plus respectueux de l’environnement et de la société. Et pourtant, seulement 10 à 15 % de la population mondiale arrivent à aligner leur comportement avec leurs aspirations. Chez Kantar, nous appelons ce paradoxe le "Value Action Gap".
Un développement durable pour tous
Le développement durable doit être une priorité pour l’ensemble de la population et pas seulement pour quelques happy fews, plus impliqués, davantage sensibilisés par leur communauté, ou plus aisés. Comment embarquer la majorité de la population dans une consommation plus durable au-delà des déclarations d’intention ? Comment les entreprises et les institutions peuvent-elles les aider à surmonter leurs barrières principales telles qu’elles ressortent de cette étude ? A savoir des prix trop élevés (68 % de la population mondiale), une difficulté à identifier ce qui est vraiment meilleur pour la planète (57 %), des produits difficiles à trouver (42 %), et des doutes sur la qualité des produits durables par rapport à des offres classiques (27 %).
L’accompagnement des marques pour surmonter ces freins, est particulièrement important. En effet selon une autre étude Kantar Insights récemment dévoilée, 64 % des consommateurs interrogés dans 11 pays estiment que les entreprises doivent jouer un rôle déterminant pour agir sur le climat et l’environnement (contre 82 % pour les gouvernements, 75 % pour la population et 59 % pour les institutions internationales). En cette période de forte inflation, ces consommateurs attendent particulièrement un accompagnement sur les prix : 79 % aimeraient acheter des produits respectueux de
l’environnement, mais estiment que les marques devront s’assurer qu’ils puissent encore le faire.
La consommation plus durable, uniquement une question d’argent ?
Mais une fois cette garantie donnée sur les prix, les entreprises doivent aussi encourager les citoyens à changer, voire à renoncer, à certaines habitudes. Un nouveau rôle pour le marketing !
Prenons l’exemple des entreprises de distribution de produits électroniques. Le Sustainability Sector Index nous révèle que les consommateurs attendent particulièrement les entreprises de ce secteur sur quatre thèmes : la réduction des emballages, la gestion des déchets dangereux, la surconsommation et le gâchis, et l’empreinte carbone.
Centrons-nous sur ces deux dernières dimensions. Certaines marques proposent déjà des solutions aux consommateurs. Ainsi, BackMarket, avec la vente de téléphones reconditionnés (en opposition à l’achat de la énième version d’un produit neuf), ou Darty, avec son programme "Darty Max" visant à proposer un service de révision régulière des produits achetés.
Ces deux initiatives sensibilisent les consommateurs aux critères de durabilité et de l’allongement de la durée de vie des produits. Par ailleurs, des acteurs comme l’asbl « ecoconso.be » donnent des conseils de location de matériel pour "éviter de dépenser et de s’encombrer". Mais comment les marques peuvent-elles favoriser l’adoption de ces nouvelles manières de consommer ?
Le concept de "Value Action Gap" appliqué à des thématiques spécifiques s’avère ici particulièrement utile. En analysant l’écart entre ce que les répondants à notre étude affirment être leurs valeurs, et en le comparant ensuite à leurs actions réelles, les marques peuvent plus facilement déterminer l’intensité de leurs frictions, et fournir des solutions pour faciliter la transition vers l’adoption de pratiques plus durables.
Revenons à notre exemple : 32 % des consommateurs aimeraient acheter des produits dotés de la garantie d’une durée de vie plus longue, mais seuls 16 % le font vraiment, soit un ratio de 1 à 2. 12 % (seulement !) souhaitent s’orienter vers l’économie de partage ou de la location, mais seuls 4 % déclarent le faire, soit un ratio de 1 à 3.
Utiliser les leviers et contrer les barrières
Et puis, l’identification des écarts les plus importants ne suffit pas pour aider les citoyens à adapter leurs comportements à un mode de vie plus durable. Les entreprises doivent également s’attaquer aux leviers et aux frictions qui influencent la prise de décision.
Ainsi, notre étude nous révèle que pour encourager des comportements d’achat de biens à durée de vie plus longue, l’argument du rapport qualité-prix est essentiel. L’attitude proactive des marques sur la promotion de ce changement de comportement, notamment au travers de leur communication et la confiance – donc la promesse de la marque et sa réalisation au travers de l‘expérience – sont des éléments motivateurs déterminants. Ces actions seront également de nature à surmonter les barrières principales du prix et du manque de connaissance de ces alternatives.
Pour ce faire, les étiquettes doivent être reconnaissables afin que les gens puissent clairement remarquer l’appareil le plus durable, et des gages de réassurance sur le prix plus élevé doivent être données: vous payez plus cher, mais cela dure plus longtemps (par exemple, montrez clairement que vous prolongez la garantie car vous savez que votre produit durera plus longtemps).
Pour développer l’économie du partage et de la location, il existe encore beaucoup de frictions. Les consommateurs ne sont pas encore prêts pour ce modèle économique, en dehors peut-être de la mobilité. Il s’agit en fait de changer notre logiciel de consommateur, voire de style de vie : posséder c’est important, c’est une question de sécurité, de statut, voire de réalisation de soi, et cela nous rassure. C’est ce que nous vendent les marques depuis des décennies ! Pour ce faire, notre étude indique qu’il faut proposer des expériences pertinentes, valorisantes et fluides, privilégier la facilité et la praticité.
Innover, encore et toujours
Il y a donc encore beaucoup à faire, tant pour motiver le consommateur face à certains changements, voire renoncements, que pour assurer ensuite la conversion. Sans cela, nous n’atteindrons pas un objectif essentiel : "Make sustainability mainstream".
Ce qui représente un effort collectif des autorités et des citoyens. Via des incentives et labels clairs et contrôlés pout les premières. Sans oublier le renoncement à certaines habitudes et l’adoption de nouveaux usages par les seconds. Quant aux entreprises, à elles de changer de business model et d’apporter des solutions innovantes et faciles, sans négliger l’expérience.
Article publié par BAM Think Tank Sustainability