Décote d’alerte

La dévaluation de la classe politique en France n’en finit pas de s’aggraver, pénalisant le fonctionnement de note système démocratique.
11 juillet 2019
Décote d’alerte
Emmanuel Rivière
Emmanuel
Rivière

Directeur des études internationales et du Conseil politique, Kantar Public

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Crise de la représentation. Dit comme ça, rien de nouveau sous le soleil. Depuis des lustres, l’expression est en usage pour caractériser le climat politique en France, la défiance à l’égard des dirigeants, l’abstention qui enchaîne les records. Elle pourrait s’appliquer aux quatre dernières décennies de la Ve République, caractérisées depuis 1981 par des majorités incapables de survivre à une élection de dévolution du pouvoir. Les seules exceptions sont l’élection de Jacques Chirac en 1995 (contre le Premier Ministre sortant Edouard Balladur) et celle de Nicolas Sarkozy en 2007 (en « rupture » avec le même Jacques Chirac). Le vote sanction est la norme. On s’est habitué à ce que la représentation soit en crise, comme si cette crise faisait partie du décor de notre démocratie. Mais à force de s’habituer à cette désaffection chronique, on risque de passer à côté d’un constat plus que préoccupant : l’état du malade n’en finit pas de s’aggraver.

Parce qu’il interroge depuis 1974 les Français sur leur personnel politique, le Baromètre Kantar onepoint pour le Figaro Magazine (autrefois baromètre Sofres) permet de non seulement de mesurer le bilan de santé de notre démocratie, mais de constater que la situation est pire aujourd’hui qu’elle l’était il y a 5 ou 10 ans. Ce baromètre interroge les Français sur la confiance qu’ils accordent au couple exécutif, sur l’image des partis, et sur la « cote d’avenir » d’une quarantaine de personnalités politiques, dont on demande aux sondés s’ils souhaitent « qu’ils ou elles jouent un rôle important au cours des mois et des années à venir ». En regardant le classement de juillet 2019 des personnalités passées au crible de cette question qui mêle à la fois la notoriété, la capacité à incarner une proposition politique et à susciter du désir, on est frappé par la faiblesse des chiffres. A l’exception de Nicolas Hulot (48% de cote d’avenir), qui s’est fait apprécier en dehors de la politique, aucune personnalité ne passe 30%. Un tiers d’entre elles n’atteignent pas 12%, dont la Ministre du travail, ceux des Comptes publics et de la transition écologique, le Président de l’Assemblée nationale. Susciter l’envie et l’intérêt d’un Français sur cinq (20%) suffit pour figurer dans les dix premiers du classement. Ce baromètre passe pour être le plus sévère de tous ceux qui mesurent les cotes des personnalités, mais cela n’a pas toujours été le cas, et pas à ce point. Il y a 5 ans il fallait dépasser 30% pour figurer dans les 10 premiers, et en 2009 le dixième bénéficiait d’une cote d’avenir de 36%.

Il faut sortir de l’analyse individu par individu pour prendre la mesure de la dévaluation de la classe politique. Le graphique ci-dessus indique l’évolution, depuis 1974, de la moyenne des 10 personnalités les mieux notées par les Français. Si l’on parcourt la chronologie depuis le début, la fin du mandat de Valery Giscard d’Estaing apparaît marquée par une certaine lassitude, que viendra corriger l’alternance de 1981, avec l’émergence de nouvelles figures d’abord dans la majorité de gauche puis au sein d’une opposition qui parvient à se renouveler. De juin 1981 à septembre 2009 cette moyenne n’a jamais été inférieure à 40%, ou de très peu. Elle a dépassé plusieurs fois 50%, presque toujours à la faveur d’une alternance, la nouvelle composition des gouvernements permettant à des personnalités de susciter un intérêt et une faveur accrus. La fin du second mandat de Jacques Chirac est marquée par une petite décote, vite corrigée par la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007, mettant un coup de projecteur sur des personnalités très appréciées (Kouchner, Borloo, Fillon, Dati). A l’été 2007, la moyenne des dix premiers était de 51. Elle a diminué de moitié en 12 ans. Au cours de ces douze années, le phénomène de rebond qui accompagne la nomination d’un nouveau gouvernement suite à une victoire s’est reproduit en 2012 et en 2017. Mais dans le premier cas la moyenne a plafonné à 44%, dans le second à 37%, pour à chaque fois descendre très vite.

Depuis 1999 le nombre de personnalités testées dans le baromètre Kantar Figaro magazine est stabilisé autour de 40. Cela permet de produire une autre analyse, encore plus révélatrice de cette décote et de son aggravation récente. Elle porte non plus sur la moyenne mais sur le nombre de personne capables de susciter une attente chez les Français. Le graphique ci-dessous représente l’évolution du nombre d’hommes et de femmes politiques[1] qui, dans le baromètre, dépassent 33% de cote d’avenir, capables donc de séduire 1/3 des Français. C’était encore le cas d’une dizaine de personnalités il y a dix ans. Aujourd’hui seul Nicolas Hulot y parvient.

Sur la période 1999-2019, ce dénombrement des personnalités dépassant le seuil de 33% a atteint une pointe à 16 au moment de la nomination du gouvernement Raffarin au printemps 2002. La dégradation de l’image de cette équipe gouvernementale à partir de 2003 réduit de moitié le nombre de politiques franchissant la barre. Ce nombre est reparti à la hausse avec la montée en faveur de figures socialistes après la victoire en 2004 aux régionales du parti de François Hollande. La période autour du référendum entraîne une nouvelle baisse à peine enrayée par la nomination du gouvernement Villepin. A l’issue des épisodes CPE et affaire Clearstream, seules 4 personnes dépassent 33% en juin 2006 (N. Sarkozy à droite, B. Kouchner J. Lang et S. Royal à gauche). La campagne présidentielle de 2007 va permettre à d’autres figures de rentrer dans les faveurs des Français, et le club select des personnalités dépassant 33% s’élargit à 12 membres en juin 2007. 6 d’entre elles dépassent même 50%. Durant la première moitié du quinquennat de N. Sarkozy, le nombre des heureux ainsi distingués par plus d’un tiers des Français s’est stabilisé autour d’une douzaine. Par la suite, la période allant de septembre 2009 à aujourd’hui peut être résumée par l’inexorable raréfaction, pour ne pas dire la quasi extinction, des personnalités franchissant ce seuil. La campagne des primaires de 2011, puis la présidentielle de 2012 n’ont que momentanément interrompu la linéarité de cette tendance qui n’a cessé de s’aggraver. Depuis 2014, jamais plus de quatre personnalités n’ont dépassé ce seuil de 33% dans le baromètre. Il est à cet égard frappant de constater que la campagne présidentielle et la nomination du gouvernement Philippe en mai 2017 n’ont, par contraste avec les débuts des quinquennats précédents, fait gagner les faveurs des Français qu’à une poignée de personnalités. 4 personnes dépassent ce seuil de 33% en juin 2017 (E. Philippe, N. Hulot, J-L Mélenchon et F. Bayrou) alors qu’ils étaient 11 cinq ans plus tôt.

De fait, les nominations au gouvernement et les fonctions ainsi occupées n’apportent apparemment plus la même aura que par le passé...

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